mardi 15 octobre 2013

Bords de Vienne

Après Les souterrains, un autre texte écrit dans le cadre de la soirée du collectif d'auteurs Nous sommes vivants (Si t'es venu à Limoges pour critiquer, t'aurais mieux fait de rester en Suisse) pendant l'édition 2013 du Festival des Francophonies en Limousin.
      
       
          Pour courir, il y a les bords de Vienne
C’est le conseil que t’as donné une amie quand tu es venu en résidence d’écriture à la Maison des auteurs à l’automne 2012
Tu avais besoin de courir après tes huit heures de train depuis Genève
La première priorité, établir ton itinéraire
Tu demandes à Nadine de la Maison des auteurs
Elle te montre une carte
          Comment descendre jusqu’aux bords de la Vienne
Le trajet entre les deux vieux ponts
Tu pars
La descente après la Cathédrale est plutôt raide
Attention à ne pas se fouler une cheville dans la rue du Pont Saint-Étienne avec ses pavés souvent disjoints
Tu arrives à la route qui jouxte la Vienne
La circulation est intense
Pourtant dès que tu appuies sur le bouton piéton, la signalisation passe au vert
Tu es sur le Pont Saint-Étienne
La lumière automnale te met en joie
Malgré la chaleur, tu te sens bien
Tu avances vite
Tu dépasses les maisons à ta gauche
Débouche sur un petit parc
Traverse un pont en bois
Il y a un mur d’escalade
Des bancs
Maintenant tu es sur le Pont Saint-Martial
De l’autre côté, tu hésites
Tu t’enfonces dans une impasse
Reviens en arrière
Il faut accepter pour quelques instants de s’éloigner de la Vienne
Tu aboutis sur la place Sainte Félicité
Il y a un restaurant qui s’appelle le Lambada
C’est comme si tu étais plongé en 1989 avec le tube de l’été du groupe Kaoma
Ça te rappelle une remarque que t’a faite ton amie après son séjour à Limoges
          On dirait qu’ils sont bloqués dans les années 80
          Tu verrais comme ils s’habillent
Mais ce n’est pas le moment de s’arrêter
Ni de réfléchir à la justesse de la remarque de ton amie
Tu traverses un parking en terre qui te permet de rejoindre de nouveau les bords de Vienne
À ta gauche, une usine désaffectée
D’une fenêtre te parvient de la musique africaine
Maintenant tu te retrouves face à un rat
Heureusement il a plus peur que toi et s’écarte vite
Tu arrives au Pont Saint-Étienne
Tu continues
Le laisses derrière toi
Il y a des gens qui jouent aux boules
Ils te regardent bizarrement
Après c’est le club d’aviron avec son large ponton
Le chemin se rétrécit avant de déboucher sur un immense parc
Tu te sens toujours aussi bien
Même si tu transpires de plus en plus
Des gouttes de transpiration ont fini par te couler dans les yeux et te brûlent un peu
Il y a une petite installation avec une rampe pour les skateurs
Plus loin, des gens assis sur un banc mangent des hamburgers
Une demi-seconde près d’eux et l’odeur suffit pour t’écœurer
Ce n’est pas grave
Tu es en résidence d’écriture à Limoges pour deux mois Maintenant tu passes à côté d’un parking
Tu longes de hauts murs
Maintenant ce qui ressemble à un circuit de moto-cross ou de kart
Il est peut-être temps de revenir en arrière
Parce que tu ne sais plus où tu vas
Parce que tu n’as plus aucun repère
Et ils sont là
Devant toi
Avec leurs baraquements de fortune faits de matériaux de récupération
Leurs habits qui sèchent sur un grillage
L’odeur d’un feu qui finit de se consumer
Tu penses à la pièce que tu voudrais écrire sur eux
À la psychose sécuritaire dont ils font l’objet un peu partout en Europe
À la communauté qui s’effrite
À toutes ces rumeurs
Ces légendes
Tu te dis que tu vas t’arrêter
          Que l’occasion est trop belle
          Que tu vas essayer de leur parler
          Comment ils réussissent à vivre ici
          Pourquoi ils sont venus ici
Tu te dis tellement de choses et pourtant tu es déjà en train de rebrousser chemin
C’est le moment que choisit l’un d’eux pour t’adresser un signe de la main
Maladroitement tu réponds à son salut
Il te sourit
Tu ne t’y attendais pas
Tu ne voulais pas que ça se passe comme ça
Tu te sens stupide
C’est tellement plus facile de réfléchir à un sujet devant son ordinateur
C’est tellement plus facile de choisir son moment, d’être dans le contrôle
Allez
Arrête de penser
Il faut encore retourner à la Maison des auteurs
Garde ton énergie
Tu es fatigué
Il fait trop chaud
Tu transpires trop
Et puis ce n’est pas grave
Demain ou peut-être après demain, quand tu retourneras courir, tu t’arrêteras

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